Recherche-action, région Limousin, territoire rural Ville de St Junien et de la Chatre. Equipe : SOC, S-Composition, Bruno Latour. Financement : Ministère de la transition écologique et solidaire. Site web Consortium Où Atterrir?. Site web interactif de la démarche en cours de réalisation. Rapport d’activité final en cours de publication.
La démarche
Le territoire du XXIème siècle est un territoire abstrait, mais aussi réticulaire et multiple, d’où notre difficulté à le décrire, à le visualiser et à le représenter. La question du sol « qui se dérobe sous nos pieds » devient centrale dans la définition de notre rapport au monde. Le projet des NCD (Nouveaux Cahiers de Doléance) propose d’expérimenter une méthodologie de description de ce territoire du XXIème siècle à partir du terrain de vie (ou territoire de subsistance) de chacun d’entre-nous. L’introduction de la subjectivité et la multiplication des points de vue provoquent une pixellisation du monde dont il s’agira de représenter la matérialité. « La fin de l’espace » nous interdit en effet de nous contenter d’un relevé physique qui tiendrait dans des frontières et nous impose de questionner nos outils de description. Sur une idée de Bruno Latour et suite à son livre Où Atterrir? (La Découverte, 2017), nous avons entrepris des ateliers d’orientation en politique avec des groupes de citoyens-experts.
Les objectifs sont:
1- La description préalable des formes d’attachement à un territoire précis par chacun et chacune des citoyennes-expertes
2- Des formes renouvelées d’appropriation et de représentations des enjeux publics
3- La visualisation d’un territoire dont la description a été mise à jour par une série de cartographies alternatives.
Les outils cartographiques
Les ateliers collectifs
En tant que projet pilote, l’expérimentation menée en Région Centre Limousin avec une cinquantaine de participants d’horizons, d’âges et de métiers différents, a permis l’invention d’une série d’outils et de protocoles produits avec et inspirés par les habitants, afin que chacun.e puisse décrire une entité menacée du territoire et par ailleurs essentielle pour sa propre subsistance.
Ci-dessous l’outil ‘boussole’ permet de se repérer dans le flux d’actions et des valeurs, de reconnaitre ses amis et ennemies (ceux qui peuvent me soutenir et ceux qui peuvent empêcher mon action), et surtout de les partager au sein du collectif provisoirement assemblé. L’objectif est une écriture collective d’une doléance à porter jusqu’au niveau de l’Etat. Mais au fil de l’expérience, cet objectif s’est révélé plus compliqué que prévu du fait des divergences individuelles. Les premières étapes visaient donc à fournir aux citoyens-experts (de leur territoire) des outils stratégiques d’écriture ou de carte, comme des abaques, outils de mesures, afin de décrire très précisement leur dépendances et les menaces. Chacun.e avait ensuite pour mission de mener une enquête sérieuse et de mesurer la distance entre son concernement et ceux des autres (pour cela d’autres outils cartographiques scéniques comme ceux montrés ci-contre ont développés par SOC). Se dessine ainsi progressivement un autre territoire, non plus celui administratif, mais celui faisant état d’un assemblage hétérogène et aux métriques défiant les repères conventionnels. Là encore, la visualisation des ces paysages superposés est essentielle pour la reconnaissance de ce qui compose aujourd’hui un territoire.
La série d’ateliers avec les citoyens-experts donnent lieu, à chaque étape, à une retranscription de la séance et à une cartographie explorant les différents aspects de la séance. Ainsi une série d’outils et de protocoles cartographiques ont pu être inventés et testés et correspondent aux étapes progressives de définition du territoire par les citoyens-experts. Chaque carte est le résultat d’un dispositif scénique, ou d’un récit d’enquête. Les boussoles, les abaques des inquiétudes, la carte des puissances d’agir, les cartes récits d’enquêtes et la carte des paysages superposés sont ces objets-espaces générés à partir des descriptions des territoires de subsistance.
Ensuite, la carte des puissances d’agir est le résultat d’une séance où les participants décrivaient leurs actions (positives ou négatives) en faveur ou défaveur de l’entité ‘humus’ identifiée comme menacée sur le territoire par un des participants. Au centre l’existence du sujet de préoccupation est soumise aux actions quotidiennes de chacun.e. La carte rend visible ces tensions et les énonce afin que chacun.e puisse se positionner par rapport aux autres et ainsi repérer ses alliées ou ennemies en vue de formuler une doléance ou non par rapport à cette entité menacée.
Carte finale
La carte des paysages superposés vise à représenter non pas un territoire tel qu’il est administré mais tel qu’il est saisi par les habitants et leurs attachements. L’objectif est de rendre visible cette situation de territoire vécu à des gens extérieurs à ce territoire, qui ne connaissent pas ce territoire. Les différentes entités menacées de chaque participant, comme nous l’avons vous, sont difficilement commensurables, c’est-à-dire comparables ou équivalentes entre elles. Cet espace est donc relativiste car chacun construit son monde en fonction de l’entité́ menacée (son concernement, son caillou, et son enquête). La carte retrace ces différents mondes (descriptions, terrains de vie liés à l’entité́ menacée) et effectue des rebonds entre eux. Les rebonds sont des préoccupations partagées parmi plusieurs membres du collectif, parfois comme quelque chose accepté par tous comme positif ou négatif ou bien dans d’autres cas comme sujets de discordances. Par exemple, les voisins pour les Germond sont des alliés sans qui leur territoire serait invivable (prêt d’instruments et de machines, entre aide manuelle, dépannage, etc), mais pour Philippe, le voisin est un ennemi (les mégots jetés par terre qui deviennent sources de conflit).
Les rebonds, ce sont les choses qui se touchent par hasard, mais qui pourrait ne pas l’être, c’est-à-dire quand les territoires ne se recoupent pas. Le fait de partir des rebonds permet de tomber sur les terrains de vie, c’est en ce sens qu’il s’agit d’un territoire rétabli. Lorsque la carte est donnée à des personnes extérieures, les administrateurs, alors le point de départ de la façon dont ceux-ci vont approcher le territoire va être diffèrent. Si par exemple l’administrateur est responsable des forêts, avec cette carte, il tombera sur Marie, Christine, c’est-à-dire des gens qui sont déjà̀ en train d’être un peuple associé à des attachements entre eux. On ne cherche donc pas à localiser des forêts. Pour l’administrateur qui s’intéresse à la question politique de représenter le peuple dont il est le serviteur, il est beaucoup plus utile de voir une carte qui parte des thèmes et l’amène au peuple qui occupe ce territoire plutôt que de voir une carte géographique. C’est cela que la carte des paysages superposés essaie de résoudre