Cartographier l’Arbre-monde
Extrait de l’article publié dans les Cahiers du paysage, Bienale d’Architecture et de Paysage 2022, Axelle Grégoire et Alexandra Arènes
De Yggdrasil à Richard Powers[1], l’arbre cosmique est une image matricielle et une trame narrative pour penser le monde. Or concernant la représentation de nos territoires, l’arbre a perdu son rôle structurant. Et comme le reste du vivant, il a progressivement été invisibilisé. En effet, nos systèmes de représentation ont été conçus en fonction de l’habitat humain, avec une vision nécessairement anthropocentrée. Or l’entrée dans l’ère de l’Anthropocène nous oblige, en réaction, à décentrer le regard et à prendre en compte l’ensemble de nos interrelations avec les vivants qui façonnent tout autant que nous, architectes, les paysages. L’Anthropocène se traduit comme une crise de l’habitabilité[2] de nos territoires mais aussi une crise de nos représentations. Face à cette crise, nous sommes forcés de faire le constat d’un déficit d’images et d’outils pour exprimer le caractère inextricable des relations entre humains et non-humains. Dans la plupart des cartes, l’arbre, s’il n’est pas d’emblée dilué en aplat vert pour désigner des milieux réduits à leur couleur, est très souvent un objet auquel on assigne une échelle, que l’on géolocalise, que l’on déplace ou transplante, sans mesurer la relation puissante et complexe qu’il entretient à l’espace ; de manière immédiate ou lointaine, en étendue comme en profondeur.
[1] Yggdrasil est « l’arbre du monde » dans la mythologie nordique. Il organise l’espace et structure la représentation des mondes (Ásgard, Midgard et Niflheim) en les reliant. De manière plus contemporaine, l’expression « l’arbre-monde » a également été choisie pour traduire en français le titre du roman « The Overstory » de l’américain Richard Power, soulignant le rapport entre le schema narrative et la figure de l’arbre, lien entre tous les personnages. (Powers R. (2018). L’Arbre-monde. Paris : Le Cherche Midi)
[2] Le terme d’habitabilité était d’abord utilisé concernant les planètes et leurs satellites naturels pour définir la capacité d’un corps astronomique à accueillir et développer la vie. Aujourd’hui l’habitabilité devient la mesure pour déterminer le degré de désagrégation de nos milieux anthropisés mais aussi notre capacité de réparation de ces mêmes milieux, comme le résume Anna Tsing avec la notion de « paysages en ruine ». (Tsing A. L., The Mushroom at the End of the World – On the Possibility of life in Capitalist Ruins, Edition – Princeton university Press, 2015.)
Alexandra Arènes et Axelle Gregoire, studio SOC. Carte du point de vie d’un hêtre et d’un épicéa, de l’Observatoire de la Zone Critique du Strengbach en Alsace, 2020.
Carte exposée dans l’installation « Critical Zone Observatory Space », SOC (Société d’Objets Cartographiques), dans l’exposition collective “Critical Zones. Observatories for Earthly Politics”, 2020/2022, ZKM | Center for Art and Media Karlsruhe, Allemagne.